Caroline von Schelling, Band 1


An Julie von Studnitz.

à Goettingue ce 8 d’Aout 1780.

... Je ne sais pas si je vous avois deja mandé, qu’il ètoit notre dessein d’aller chercher mon pere à Pyrmont qui y prenoit les eaux. Ce petit voyage me rejouissoit beaucoup, et nous l’entreprimes, ma mere, ma soeur et moi fort gayement, mais il ètoit dit que notre joye ne devoit point ètre pure. Car ètant à une petite ville, nommée Eimbeck, à quatre miles de Goettingue, ma mere, dont la constitution est faible en general, se sentit si malade, qu’elle desesperoit de pouvoir continuer son chemin, nous restames la une aprésdinée et une nuit, et alors ma mere se resolut de rester la, auprés d’un parent qui demeure la avec sa famille, et de nous laisser poursuivre le voyage avec mon oncle qui nous avoit accompagné. — Je savois, que son accident ne seroit point du tout dangereux, car elle a souvent eu un tel accés, et comme elle le souhaitoit et que je la savois fort bien dans la maison ou elle se trouvoit, j’acceptois la proposition, et nous partimes, quoiqu’il s’en fallut bien que ce ne fut avec un coeur aussi libre que le jour precedent. Nous trouvames le plus affreux chemin qui se puisse imaginer, j’en avois entendu auparavant, mais ceci surpassoit ma plus grande attente. Niebuhr, qui a fait ce grand voyage en Egypte, disoit un jour chés mon pere, que de Goettingue jusqu’en Arabie il n’y avoit point de chemin plus mauvais que d’ici à Heiligenstadt et Gotha, mais l’honnette homme n’a jamais èté à Pyrmont. Nous eumes aussi un orage en chemin, et la foudre tomba à peu prés à cinquante pas de nous. Nos chevaux prirent la fuite et nous mênerent si loin dans quelques instans que nous n’eumes pas le tems de nous remettre de notre frayeur. Cependant (admirés mon courage) je sus preparée à tout et resolue à mourir, heureusement je n’eus pas l’occasion d’executer mes belles resolutions, car l’orage passa. À un village eloigné une heure de Pyrmont nous rencontrames le valet de mon pere qui nous dit que celui ci nous attendoit la, je lui donnai sur le champ une lettre de ma mere pour la lui porter, et le préparer par la, car naturellement il devoit s’etonner de ne la point voir arriver. À peine que mon pere l’eut luë, nous arrivames. Alors mon pere nous prit dans son carosse et apres une heure nous fumes à Pyrmont. —

de fus frappée plus que je ne puis vous le dire de la beauté de l’endroit, et de la multitude des étrangers. Il m’est impossible de Vous en faire une description. L’allée fut illuminée le même soir, il y avoit un bal et nous vimes Pyrmont dans tout son lustre. Le lendemain nous fumes présentées, et reçues avec la plus grande politesse et complaisance. J’ai fait la les plus agréables connoissances. Le comte de Werthern beau fils de Madame de Buchwald y fut aussi avec son épouse, avec la quelle il s’est mariée long tems aprés la mort de la premiere, mais qui est la plus aimable dame du monde, je suis presque enthousiasmée pour elle, at surement vous seriés de mon Sentiment, si Vous l’aviés vue. Il y avoit beaucoup de beautés à Pyrmont, la comtesse de Werther ne l’est pas justement, mais aprés l’avoir vue une fois, on n’aime pas à l’en perdre, on est contraint de la contempler et de l’aimer. — Nous fimes en carosse un tour de promenade au Königsberg, qui doit ce nom au roi de Prusse, dont il a èté la promenade favorite pendant le séjour de celui ci à Pyrmont, on a aussi remarqué di place ou il s’est assis ordinairement. Comment pourrois-je vous décrire les environs charmans et variés qui s’offroient la à ma vue, comment Vous décrire le plaisir que je sentois, un plaisir si pur et si sensible, qui surpassoit tous les plaisirs vifs et brillans aux quels on s’accoutume si aisement, et qui cependant sont si peu propres à remplir le vuide d’un coeur né sensible. Que je ne les pouvois partager avec Vous, ma chere Julie! — Le lendemain il y avoit encore un bal, mais comme nous devions partir le jour suivant, nous n’en pouvions ètre malgré toutes les invitations. Je fus faché de ne pouvoir pas faire la connoissance de Zimmermann, qui pour cette fois ci n’y etoit pas. Il est avec le prince d’Orlow au bains de Ems. Le baron de Senckenberg, celui qui a eu tant de part à la derniere guerre entre le roi de Prusse et l’Empereur, fut presque toujours avec nous, et il dinoit aussi a l’appartement de mon pere. C'est l’homme du meilleur charactere qu’on se puisse souhaiter, d’un esprit fort vif, mais qui cependant n’a pas l’air de l’homme important qu’il l’est en effet. Sa compagnie est amusante et agréable au plus haut degré. Il est encore fort jeune.

Au jour fixé nous partimes fort satisfaits de Pyrmont et de ses habitans. Nous dinames à Halle, un village ou mon pere connoit le superintendant, chés celui ci, dans la plus agréable compagnie, car j’y retrouvois par hazard une connoissance interressante que j’avois faite à Pyrmont, et le soir a onze heures nous arrivames à Eimbeck, impatiente de revoir ma mere. Elle se portoit mieux, mais ètoit fort affoiblie. Le lendemain pendant le voyage elle se retablissoit toujours de plus en plus à notre plus grande joye.

À Northeim un homme à cheval y vint chargé de nous chercher partout, parcequ’il s’étoit repandu le bruit de la mort de mon pere et d’une maladie dangereuse de ma mere. Que nous avons ris! — A un lieu de plaisance entre Goettingue et Northeim nous trouvames une compagnie qui nous attendoit la, au cas que nous vivions encore. Nous nous amusames la encore quelque tems et enfin nous retournames chés nous pour detruire le bruit de notre mort. — Voila la description de ce celebre voyage! Que ne puis-je faire à une de mes connaissances d’ici celui de Gotha, mais je ne desespere pas et jamais moins qu’aprésent....