Caroline von Schelling, Band 1


An Julie von Studnitz.

à Goettingue ce 29 d’Octobre 1780.

Je cherchois d’abord à me consoler de ne Vous avoir pas vu encore une fois, ma tendre et chere amie, je voulois me persuader que mon pere m’avoit épargné un congé qui m’auroit èté si triste...

Quelque fois j’en doute encore d’avoir èté réellement à Gotha. Etoit-ce peutétre un songe riant qui m’a séduit? — Mais non, je Vous ai vu en effet, j'ai èté heureuse — helas je ne le suis plus. Chaque pas qui m’éloignoit de Gotha augmentoit ma tristesse, aucun agrément ne m’attendoit à Goettingue exepté celui de revoir ma mere et celui la me fut encore anéanti, car je la trouvois malade. En arrivant à Gotha mes sentimens furent tels comme je me represente ceux d’un Suisse qui revoit aprés une longue absence sa chere patrie aprés la quelle il soupiroit long tems en vain. Mon coeur voloit au devant du votre.

Je n’ose me livrer à mes pensées, je n’ose comparer le séjour de Gotha à celui de Goettingue, j’y perdrois trop. Goettingue a tant de désagremens pour une jeune fille qu’il n’est pas possible d’eviter tout à fait, encore vive et etourdie comme je le suis, l’etois au moins, car ici je ne le suis plus, ma belle humeur de Gotha est passée, venés, ma Julie, me la rendre. — Quand je pense à tout cela j’aimerois mieux étre né à Nova Zembla qu’ici, pas justement pour moi même, car mes principes et resolutions furent trop fermes, et graces au ciel je les ai observées, mais pour tout ce que je vois autour de moi...