Quel long espace de tems s’est écoulé depuis que je n’ai pas écrit à mon amiel... J’ai èté pendant tout ce tems en suspens en égard d’un voyage projetté à Gotha. Ma soeur Charlotte reviendra à Paques et nous serions allés la prendre si nous n’avions point trouvé d’autre occasions pour l’amener ici. Plusieurs de ces projets sont échoués, mais sitôt que mon espérance revit, on est la àvec un autre projet pour l’abattre de nouveau, et je crois qu’enfin on viendra à bout de la tromper tout à fait. Flottant donc entre l’espoir et la crainte, j’ai été alternativement heureuse ou melancholique. Vous savés que je suis tout a l’excés, imaginés Vous donc quelle fut ma situation.... Eloignée de tout ce qui me tient le plus à coeur, n’ayant point d’amie présente que je puisse aimer comme les absentes, separée de mon frere vivant dans un endroit, qui comme université n’est point du tout de mon gout. Tout cela n’a-t-il pas un aspect bien lugubre? Cependant j’ai aussi beaucoup de joye et je suis quelque fois trés contente. La source de cette inégalité est sans doute dans mon propre coeur. C’est lui qui est si inconstant, constant dans rien que dans l’amitié, une verité que je sens en verité. C’est dans mon esprit et dans mon coeur que demeure alternativement le ciel ou l’image opposé, que je vis dans d’éternelles émotions. Comme ma phantasie se peint quelque fois le monde! Comme mon imagination le parcourt! de ne suis jamais tranquile, mais vole d’un coté opposé à l’autre.
Vous avés peutêtre entendu des petits évenémens arrivés ici. Premierement le feu prit à une maison pas trop Cloignée de la notre, et tout le monde ayant le malheureux sort de Gera, à cet heure deja sorti des cendres, en idéé, s’allarma plus qu’à l’ordinaire. Puis notre jeuinesse étudiante trouvoit bon, de se donner une petite motion et entreprit un tumulte. Par haine contre le prorecteur d’aprésent, haine au moins à demi injuste, encore plus pur manque de moeurs, et par d’autres motifs miserables. Aussi fut ce comme toujours la partie limoins noblé de nos étudians qui l’entreprit, et les garcons de rue aidoient à l’exécution. Pendant un quard d’heure cependant j’ai eu une frayeur terrible. Le soir même ou on s’attendoit au plus grand bruit on cria feu, le tambour battoit, les cloches gonnoient, et houis apprimes en même tems que le feu devoit être dans la maison du prorecteur. Il y fut, mais dans l’oranigerie de son jardin botanique, et fut d’abord étouffé. Comme il faisoit un froid extreme, que le vent ètoit du coté de la ville er que les étudians n’auroient pas secouru, Goettingue auroit pu être perdu. Aprésent tout est tranquile.
Mon frere m’écrit qu’il ne voit plus d’espoir ou de possibilité de la conquête de l’Amerique. Clinton est cause de la necessité ou Cornwallis ètoit reduit de se rendre. On dit publiquement que Cornwallis est sacrifié.
Quelques generaux se sont engagés de le delivrer avec six mille hommes, Clinton n’a pas voulu les leur donner. Le jeune prince doit être bien aimable, mais les Americains annonçoient son arrivée de cette facon: Yesterday arrived at Newyorck a young puppy of the old whelp. Puppy signifiant un jeune chien ou Grünschnabel, whelp un chien à mammilles, ein Bube, ein Schelm, et en même tems le nom de famille des rois d’Angleterre.
On m’écrit quelque chose d’un tableau fait par Göthe, accompagné d’une ballade, chanté par lui à la duchesse de Weimar; puis d’un poême pour son jour de naissance chanté par les vertus féminines. J’avoue que je suis trés curieuse de voir ces deux pièces, et comme Vous, chere Julie, pouvés peutêtre me les procurer facilement, je Vous prie instamment de le faire, et je Vous rendrai mille graces de votre bonté. Il s’entend que je ne desire pas d’avoir le tableau, mais seulement la copie de ces deux poêmes....