Je m’asseois ici, chere amie, pour Vous demander bien vite, ce que Vous dites de la victoire de Rodney sur l’admiral Grasse. Pour nous et nos Anglois la tête nous en a tournée. Il n’y a partout que joye et tappage, Goettingue est Londres en miniature. Le jour de l’arrivée des gazettes, toutes les maisons, ou il y a des anglois, furent illuminées sur le soir, eux mêmes chantoient par les rues les victoires de Rodney, puis s’assembloient, pour les noyer dans le pounsch, et les oublier pendant le lendemain en sommeil. Aujourd’hui en honneur du jour de naissance du Roi, ils paroissent tous en uniforme de marine qui est celle de Rodney, en bleu et blanc avec des boutons à la Rodney, qui arrivèrent avec la même poste qui nous porta l’heureuse nouvelle. Vous en recevrés avec ceci un qui est le seul que j’ai pu avoir et que je Vois prie de renvoyer à Mad. Schlaeger. Leurs domestiques sont en nouvelle livrée. Ce soir la plus part de la ville sera illuminée avec des lumieres bleues, il yaura musique partout.
Le prince de Nassau qui est colonel françois se fâche un peu de tout cela. Son gouverneur dit lui avoir offert d’illuminer aussi, mais il n’a pas voulu; il fut hier chés nous pour s’en plaindre, il veut porter à l’avenir des boucles françois à la Cornwallis.
Pour moi quelque patriote que je soye, je ne sens que trop que j’aime encore mieux mon frere que mon Roi. Cette victoire retardera de beaucoup la paix, et ce fut elle qui depuis quelque tems fut le seul soutien de mon esperance. le n’ose donc pas même gouter cette joye, je n’en gouterai aucune, jusqu’au moment qui me rendra mon frere. Adieu ma bien aimée amie.
Dans ce moment je reviens d’un tour par les rues. L’illumination ou on voit partout l’éloge du Roi et de Rodney sous de differentes figures, fait un spectacle tout à fait charmant. La foule est exessive, tout le monde est dans les rues, on s’y promene comme en plein midi. Les anglois sont assemblés à l’Hotel à la Couronne, ou ils chantent à fenetres ouvertes, God save the king, chaque fois qu’ils s’écrient Huzza! la foule crie de même et cela va par toutes les rues. Vous n’avés point d’idee d’un tel vacarme. Cela me plait pourtant beaucoup. Je ne m’étonne plus du caractere des Anglois, s’ils jouent Souvent de telles scenes. Si je n’etois pas à Goettingue, j’aimerois ce soir ètre à Londres.
Le bouton que je Vous envoye est deja si usé qu’on n’y voit plus l’argent. Ceux que les anglois portent, sont tout à fait d’argent, mais il est impossible d’en avoir.