Caroline von Schelling, Band 1


An Julie von Studnitz.

à Goettingue ce 14 de Mars 1783.

La paix s’est donc faite, et votre amie est heureuse. Elle est aussi rendue à mon cocur, la joye y est retournée....

Cependant ce n’est pas en patriote que je me rejouis de la paix. Il n’y en pouvoit avoir de plus humiliante pour l’Angleterre, aussi nos anglois la damnent-elle mille fois par jour, et le roi s’en afflige en secret. Malheur à ceux qui la préparoient au commencement de la guerre, en la trainant dans la longue séduits par le plus bas des motifs, quand il entre en collision avec le bien de la patrie: l’envie de s’enrichir; et malheur à Fox et tous ceux qui l’ont conclue animé par l’esprit pervers et corrompu de l’opposition. Croiriés Vous bien que le Landgrave de Hesse vient de ceder ses trouppes au Roi d’Angleterre pour lui en épargner le transport de l’Amerique jusqu’ici? Il a donc vendu tout à fait ses sujets, et reçoit 31 L. St. pour chaque homine. Ceux qui voudront retourner, peuvent le faire, mais leur nombre sera tres petit. On donnera des terres à cultiver à ceux qui restent; leurs femmes les suivront, ils en attireront encore d’autres, et le pays de Hesse deviendra un désert, ou il y aura plus de statues antiques et de Livres Sterling que d’hommes. — Le Landgrave s’est reconcilié avec ses trois fils. C’est surtout son épouse à la quelle on doit cette grande révolution, qui remplit tout le pays de joye. Le cadet arrivoit le premier et se jettoit aux pieds de son pere, qui ne le réconnut pas, et le prit pour un insensé, mais il l’accepta pourtant, aussi tôt qu’il sut, que c’etoit son fils; puis vint le second et aprés cux le prince héreditaire. Cela a causé les scenes les plus touchantes. La mere a communié publiquement avec eux. Ils font regagner à leur pere le respect qu’il avoit perdu jusq’à celui de l’étiquette, en lui en témoignant. Le peuple s’empresse a voir les fils de son souverain, et les reçoit avec des acclamations de plaisir. Enfin tout le monde est content; et si le Landgrave sait encore sentir, que doit-ce être pour lui que d’etre encore une fois pere, avant de mourir.

le me rejouirais de tout mon coeur si votre projet de voyage s’accomplissoit. Je ne connois rien de plus agréable que de voyager, quoique je l’aye fait si peu, et que ce soit plutôt selon les belles chiméres de ma tête, que d'apres ce, dont j’ai fait l’experience que je l’aime tant. Comme mes idées volent quelque fois par le monde, et quand j’en reviens, qu’alors je me dis tristement comme l’oiseau de Yorick: je ne puis sortir. Un voyage par l’Allemagne et la Suisse — la chose ravissante! Si l’envie n’avoit pas tant d’inconvéniens, j’envierois tout ceux qui le font, et je ne m’en empêche qu’avec peine. On ne perd pas encore ici le gout de la Suisse, et je crois qu’on ira de nouveau en pelérinage à ce lieu de sainteté, cet image de saint pour tous ceux qui aiment le vrai et le beau dans les hommes et dans la nature. Mad. Less y fut l’èté passé, et elle me raconte souvent de ses effects miraculeux; elle m’a aussi fait aimer Lavater, et je Vous prie de l’aimer aussi, et de le lire, exepté ses oeuvres physiognomiques. Quand j’entens raconter de lui, et que je lis ses écrits qui respirent partout le vrai sens du christianisme, je vois en lui un des premiers disciples de Christus. Il est en même tems l’homme le plus enjoué, et l’ame de toutes les compagnies ou il se trouve.

Les malheurs de la Sicile et de Calabrien font le sujet de tous les entretiens, et qui est-ce qui n’en seroit pas penetré de compassion? C’est le plus terrible evenement, un renversement de toute la nature. Le plus beau pays détruit et 40000 hommes d'expirés. On frémit!

Etudiés Vous encore l’anglois? Je ne lis que dans cette langue, j’y ecris, j’y parle et j’en ai une joye exessive. Il n’y en a point qui recompense plus la peine à l’avoir apprise. Je ne puis me rassasier d’un Pope, Young, Milton, Hume etc. et Shakespear! c’est lui seul qui recompenseroit deja. Malgré ce que le soi disant orgeuil national en dise, l’Angleterre a produit les plus grands auteurs. Pour les plus grands hommes je les cede volontiers à l’Allemagne. J’ai lu dans l’original la lettre de Mrs. Argill au comte de Vergennes qui se trouvoit dans les gazettes, elle a èté bien gatée dans la traduction. En lisant le passage ou elle mentionnoit sa fille: raving about her brother, j’ai versé des larmes....